Daniel Tammet : Les différentes façons de savoir (conférence TEDX)

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Daniel Tammet, auteur de « Je suis né un jour bleu, est atteint de synesthésie linguistique, numérique et visuelle — ce qui signifie que sa perception des mots, des chiffres et des couleurs sont entremêlées en une nouvelle façon de percevoir et de comprendre le monde. Dans une conférence TEDX de 2011, Tammet, partage son art et sa passion pour les langues et donne un aperçu de son esprit magnifique.


La vidéo :

Autres liens :

Directement sur Ted.com –  avec sous titrages en français

sur Youtube (en anglais)

Transcription de la vidéo

Je suis un savant autiste, ou plus exactement, un autiste savant avec un fonctionnement élevé.

C’est une condition rare. Et encore plus rare si elle s’accompagne comme dans mon cas, d’une conscience de soi et d’une maîtrise du langage.

Très souvent, quand je rencontre quelqu’un et qu’ils découvrent que je suis comme ça, il y a un certain malaise. Je le vois dans leurs yeux. Ils veulent me demander quelque chose. Et en fin de compte, très souvent, l’envie est plus forte qu’eux et ils ne peuvent s’empêcher de dire : « Si je vous donne ma date de naissance pouvez-vous me dire quel jour de la semaine je suis né? » (Rires) ou ils parlent de racines cubiques ou ils me demandent de réciter un nombre long ou un texte long.

J’espère que vous me pardonnerez si je ne fais pas ce genre de numéro pour vous aujourd’hui.

Je vais plutôt vous parler de quelque chose bien plus intéressant que les dates de naissances ou les racines cubiques — un peu plus profond et un peu plus proche, selon moi, que le travail.

Je veux vous parler brièvement de perception.

Quand il écrivait les pièces de théâtre et les nouvelles qui devaient le rendre célèbre, Anton Tchekhov tenait un carnet dans lequel il notait ses observations sur le monde qui l’entourait — des petits détails que les autres gens ne semblaient pas voir.

Chaque fois que je lis Tchekhov et sa vision unique de la vie humaine, ça me rappelle pourquoi moi aussi je suis devenu écrivain. Dans mes livres, j’explore la nature de la perception et comment différentes sortes de perceptions créent différentes sortes de savoir et de compréhension.

Voici 3 questions tirées de mon oeuvre.

Daniel_tammet_3_questions

Plutôt que d’essayer de les comprendre, je vais vous demander de considérer pendant un moment les intuitions et les instincts viscéraux qui vous traversent la tête et le coeur pendant que vous les regardez.

Par exemple, le calcul.

Pouvez-vous ressentir à quel endroit sur la ligne des chiffres la solution est susceptible de tomber ?

Ou regardez le mot étranger et les sons.

Percevez-vous l’étendue des sens vers lesquels ils vous pointent ?

Et en termes de vers de poésie, pourquoi le poète emploie-t-il le mot lièvre plutôt que le mot lapin ?

Je vous demande de faire ça parce que je crois que nos perceptions personnelles, vous voyez, sont au coeur de notre façon d’acquérir le savoir.

Des jugements esthétiques, plutôt que des raisonnements abstraits, guident et façonnent le processus par lequel nous en venons à savoir ce que nous savons. J’en suis un exemple extrême.

Mes mondes de mots et de chiffres se mêlent à la couleur, à l’émotion et à la personnalité.

Comme Juan l’a dit, c’est la condition que les scientifiques appellent la synesthésie, une interférence inhabituelle entre les sens.

Voici les chiffres de 1 à 12 tels que je les vois — chaque chiffre avec sa propre forme et son propre caractère.

Daniel Tammet : « les chiffres ont leur propre forme et et leur propre personnalité »

Un est un flash de lumière blanche. Six est un minuscule trou noir très triste.

Les croquis sont en noir et blanc ici, mais dans mon esprit ils sont en couleur.

Trois est vert. Quatre est bleu. Cinq est jaune.

Je peins aussi.

Et voici un de mes tableaux. C’est une multiplication de deux nombres premiers.

Daniel_Tammet_Tableau

Daniel Tammet : « Voici un de mes tableaux »

Des formes tridimensionnelles et l’espace qu’elles créent au milieu crée une nouvelle forme, la réponse de l’opération.

Et les grands nombres? Et bien on ne peut guère avoir plus grand que pi, la constante mathématique. C’est un nombre infini — il ne finit littéralement jamais.

Dans ce tableau que j’ai fait des 20 premières décimales de Pi, je prends les couleurs et les émotions et les textures et je les réunis dans une sorte de paysage numérique vallonné.

Daniel_tammet_tableau de Pi

Daniel Tammet – Tableau de Pi

 Mais il n’y a pas que les chiffres que je vois en couleur.

Les mots aussi, pour moi, ont des couleurs et des émotions et des textures.

Voici une phrase d’ouverture du roman « Lolita ». Nabokov était lui-même synesthétique.

Daniel Tammet à propos d’un extrait de Nabokov

Vous voyez ici comment ma perception du son L contribue à mettre en évidence l’allitération.

Un autre exemple : un peu plus mathématique.

Je me demande si certains d’entre vous remarqueront la construction de la phrase tirée de « Great Gatsby ».

Daniel_Tammet_Scott_Fitzgerald

Daniel_Tammet à propos d’un extrait de Scott Fitzgerald

Il y a une procession de syllabes — blé, un ; prairies, deux ; lost Swede towns, (villes suédoises perdues), trois ; un, deux, trois.

Et cet effet est très agréable à l’esprit, et cela aide à apprécier cette phrase.

Revenons aux questions que je vous ai posées il y a un moment. 64 mulitplié par 75.

Si certains d’entre vous jouent aux échecs, vous saurez que 64 est un nombre carré, et c’est la raison pour laquelle les échiquiers, huit fois huit, ont 64 cases. Cela nous donne une forme que nous pouvons nous représenter, que nous pouvons percevoir.

Et 75? Et bien si 100, et si nous pensons à 100 comme à un carré 75 ressemblerait à ça.

Alors ce que nous devons faire maintenant c’est d’assembler ces deux images dans notre esprit — quelque chose comme ça. 64 devient 6400. Et dans le coin droit, vous n’avez rien à calculer. Quatre horizontal, quatre vers le haut et vers le bas — ça fait 16.

Daniel_Tammet_64-75

Alors ce que l’opération vous demande en fait de faire est 16, 16,16. C’est bien plus facile que la façon dont l’école vous a appris à faire des maths, j’en suis sûr. C’est 16, 16, 16, 48, 4 800 — 4 000, la réponse à l’opération. Facile quand on sait comment faire.

(Rires)

La deuxième question était un mot islandais. Je présume qu’il n’y a pas beaucoup de gens ici qui parlent l’islandais. Alors permettez-moi de restreindre les choix à deux.

Hnugginn : est-ce un mot joyeux, ou un mot triste?

Daniel_tammet_Hnugginn

Daniel Tammet : Hnugginn, mot joyeux ou triste ?

Qu’en dites-vous? Bon. Certains disent qu’il est joyeux. La plupart des gens, une majorité de gens disent qu’il est triste. Et en fait il veut dire triste. (Rires) Pourquoi, statistiquement, une majorité de gens disent qu’un mot est triste, dans ce cas, lourd dans d’autres cas ?

En théorie, la langue évolue d’une telle manière que le son est associé, correspond à l’expérience subjective, personnelle, intuitive de celui qui l’écoute.

Jetons un oeil à la troisième question. C’est un vers d’un poème de John Keats.

Daniel_Tammet_John_Keats

Les mots, comme les nombres, expriment des relations fondamentales entre les objets, les évènements et les forces qui constituent notre monde.

Il va de soi, que comme nous existons dans ce monde, nous devrions au cours de nos vies absorber intuitivement ces relations.

Les poètes, comme les autres artistes, jouent avec leurs compréhensions intuitives.

Dans le cas de ‘hare’, le lièvre, c’est un son ambigû en anglais. Il peut aussi signifier les fibres qui poussent sur la tête (les cheveux).

Et si nous y réfléchissons — permettez-moi d’afficher l’image — les fibres représentent la vulnérabilité. Ils cèdent au plus petit mouvement ou la moindre émotion. Ce que vous avez donc est une atmosphère de vulnérabilité et de tension.

Daniel_Tammet_Hare

Daniel Tammet expliquant le mot « hare »

Le lièvre lui-même, l’animal — pas un chat, pas un chien, un lièvre — pourquoi un lièvre?

Parce que, pensez à l’image, pas au mot, à l’image.

Les oreilles trop longues, les pattes trop longues, nous aident à nous représenter, à ressentir intuitivement, ce que ça signifie de boiter et de trembler.

J’espère donc qu’au cours de ces quelques minutes j’ai pu vous partager avec vous un peu de ma vision des choses, et vous montrer que les mots peuvent avoir des couleurs et des émotions, des chiffres, des formes et des personnalités.

Le monde est plus riche, plus vaste qu’il en a trop souvent l’air.

J’espère vous avoir donné l’envie d’apprendre à voir le monde avec des yeux neufs.

Merci. (Applaudissements)

Conférencier et auteur : Daniel Tammet
Traduction : Elisabeth Buffard  – Révision : Els De Keyser

Illustrations : Visuels de Daniel Tammet – TED, ‘Different Ways of Knowing’, Long Beach, California, March 2011 – Ses oeuvres visuelles sont en vente sur son site internet (voir ci-dessous)

Pour en savoir plus :

Daniel Tammet Wikipédia (français)

le site internet de Daniel Tammet

Fiche Wikipedia Synesthésie

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