Le burn-out est désormais reconnu comme maladie professionnelle, mais un autre mal tout aussi insidieux, ne bénéficierait a priori pas de la même considération : le bore-out, le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui.
Qu’est-ce que le bore-out, le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui ?
Le terme de bore-out est apparu pour la première fois en 2007 dans Diagnose Boreout, un ouvrage écrit par Peter Werder et Philippe Rothlin, deux consultants d’affaires suisses.
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>> Site du livre Diagnosis Boreout
Pour les auteurs, le bore-out peut se définir comme un trouble psychologique engendré par l’ennui au travail.
Christian Bourion et Stéphane Trebucq, in « Le bore-out-syndrom », Revue internationale de psychosociologie, n°41, vol. XVII, 2011, p.323 le définisse ainsi :
« Bore-out : une grande souffrance imputable au manque d’activité pendant le temps de travail »
L’ennui peut être lié au manque de travail mais aussi au déficit de stimulation ou à la monotonie des tâches à effectuer.
Selon Werder et Rothlin, c’est l’absence de tâches signifiantes, plutôt que le stress, qui constitue le principal problème d’un grand nombre de travailleurs.
Le syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui se caractérise par trois éléments :
- l’ennui,
- l’absence de défis,
- et le désintérêt.
Les auteurs s’opposent à l’opinion commune selon laquelle l’employé démotivé serait paresseux ; ils affirment au contraire que l’employé a perdu tout intérêt pour ses tâches : les personnes souffrant de bore out sont « insatisfaites de leur situation professionnelle ».
Leur frustration peut trouver sa source dans leur incapacité à contribuer au développement de leur entreprise, à utiliser leurs compétences et connaissances ou à voir leurs efforts reconnus.
Bore-out, des témoignages
Témoignage 1 – Frederic Desnard
« Placardisé pendant quatre ans, j’ai fait une crise d’épilepsie au volant »
Un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui a bien failli coûter la vie à Frédéric, qui, licencié sans ménagement, se bat aujourd’hui pour que la responsabilité de son entreprise soit reconnue.
Frederic Desnard a en effet été licencié par son employeur pendant son arrêt maladie.
Frédéric Desnard veut se faire le porte-voix du « bore-out »
Témoignage 2- Aurélie Boullet, alias Zoé Shepard
C’est cette attachée territoriale dans la fonction publique, qui a permis de mettre à jour le problème en 2010 dans son livre à succès Absolument dé-bor-dée (Albin Michel).
Elle y détaillait son travail quotidien, qui revenait à « faire 35 heures en… un mois ».
Cinq ans après, la jeune femme s’ennuie toujours sec au Conseil régional d’Aquitaine. « C’est le calme plat, confie-t-elle. Mais je reste parce que je n’ai pas le choix : je ne suis pas une riche héritière, et mes études m’ont orienté vers le public ».
Témoignage 3 – Un salarié anonyme sur un forum de Doctissimo
«C’est l’horreur un CDI à mi temps payée légèrement au-dessus du smic, région pourrie par le chômage, je fais en moyenne 10 minutes de taf par jour, présence pour le tél, et je suis la seule personne au bureau, heureusement il y a Internet, mais bon ça va 5 minutes, ça fait un an et j’en peux plus moralement, quand je sors le soir du boulot j’suis complètement sonné… Franchement j’vois pas d’issue… J’suis là jusqu’à la retraite ? Encore 25 ans comme ça, sûr j’irai à l’asile avant….»
Témoignage 4 – Un salarié anonyme sur un forum de Doctissimo
«Moi aussi je suis payée à ne rien faire, beaucoup de gens me disent que c’est le boulot de rêve, mais cela a fini par me mener à la dépression (cela fait un an et demi que je travaille a ce poste) J’ai l’impression d’être inutile».
Des témoignages dans une vidéo de BMF TV, Le « bore-out », ou l’épuisement professionnel… par l’ennui
Le bore-out est un phénomène négligé, voire un gros tabou.
Peter Werder et Philippe Rothlin affirment que ce phénomène a été négligé par les chercheurs comme par les employeurs en raison de la stigmatisation sociale attachée au bore out et à ses effets.
C’est en effet le stress qui est devenu un marqueur de statut sur le lieu de travail.
Vécu comme honteux, le bore-out s’avoue encore moins en période de crise avec un chômage à plus de 10 %.
« C’est perçu comme une provocation, assure Christian Bourion, professeur à ICN Business School. Les gens ne comprennent pas, ils disent »de quoi tu te plains, tu te fais passer pour une victime alors que tu as tous les avantages et rien à faire » ».
Incompris, mal vus, les salariés en proie à ce syndrome, sont priés de ne pas s’épancher.
La différence entre le burn out et le bore out, c’est la honte.
Emmanuelle Rogier explique : « La différence entre le burn out et le bore out, c’est la honte. Avoir beaucoup de travail est dans le vent ! Nous sommes dans une société qui valorise la suractivité. Celui qui au contraire n’est pas actif est honteux, il a la sensation de voler son salaire. Il devient même coupable. »
« A l’heure du chômage de masse et du culte de la productivité, il est peu valorisant de dire que l’on est malade d’ennui sur son lieu de travail. Dire que l’on souffre de burn-out est bien plus acceptable socialement », renchérit le docteur Dabon.
Denis Monneuse, sociologue, expert à l’Institut de l’entreprise, dans son article Du « burn out » au « bore out » ou de Charybde en Scylla ? exprime son scepticisme par rapport à cette notion de bore-out.
Pour lui, « cette terminologie se révèle floue car l’ennui ressenti au travail peut provenir de causes fort diverses : un carnet de commande vide au sein de l’entreprise, une volonté de se mettre en retrait de la part d’un salarié, un collaborateur mis au placard par sa hiérarchie, une mauvaise répartition de la charge de travail dans une équipe, etc. Un même terme est ainsi chargé d’englober des logiques extrêmement différentes. La notion de « bore out » s’avère alors encore bien plus imprécise et moins scientifique que celle de « burn out ».
De plus, « La difficulté à mesurer le phénomène révèle les failles de la notion. Où commence l’ennui ? Comment le mesure-t-on ? Peut-on s’ennuyer malgré une forte charge de travail ? L’ennui est-il nécessairement source de souffrance ? »
Conséquences du bore-out sur les collaborateurs…
Des conséquences qui peuvent être mortelles.
Nous l’avons vu avec le témoignage de Frédéric Desnard, mise au placard, monotonie des tâches, surqualification peuvent avoir de graves conséquences sur la santé.
Pour Annie Britton, Martin Shipley, dans leur article Bored to death?, ceux qui s’ennuient ont plus de probabilité d’avoir un accident cardiovasculaire, de se sentir inutiles et de déprimer. Ils sont amenés à des comportements néfastes tels que la consommation excessive, le tabagisme, la prise de médicaments.
Source : leur article Bored to death?, International Journal of Epidemiology, n°2, vol. 39, 2010,
Ce que confirme le docteur Philippe-Georges Dabon : « L’ennui dans la vie professionnelle, s’il est quotidien, peut conduire à la dépression, à des crises d’angoisse, à une perte progressive du sommeil ou à des maladies cardiovasculaires« .
L’émergence d’un paradoxe : une attitude passive face à la situation !
Le paradoxe du bore out est que, malgré le dégoût de leur situation, les employés se sentent incapables de demander des tâches plus stimulantes, de soulever le problème avec leurs supérieurs, ni même de chercher un nouveau travail. Le sujet atteint opposerait une attitude passive à sa situation problématique !
On le constate avec Aurélie Boullet, alias Zoé Shepard. Même si elle a eu le courage de dénoncer le phénomène dans son livre à succès Absolument dé-bor-dée (Albin Michel), la jeune femme s’ennuie toujours. « Je reste parce que je n’ai pas le choix » décrète-elle.
L’émergence de stratégies pour simuler stress et activité !
Les symptômes du bore out peuvent amener les employés à adopter des stratégies, telle qu’une apparence de stress et d’activité, afin de masquer adroitement leur évitement de tout travail ennuyeux supplémentaire.
« L’objectif de l’employé atteint de bore out est de paraître occupé, de ne pas se voir confier par son supérieur quelque nouveau travail que ce soit, et, bien sûr, de ne pas perdre son emploi. »
Parmi les stratégies de bore out, on trouverait :
La stratégie de l’étirement des tâches
Elle consiste à les faire durer beaucoup plus de temps que nécessaire. Par exemple, si la seule tâche pour une semaine donnée est la rédaction d’un rapport prenant normalement trois jours, l’employé étirera ces trois journées de travail sur la semaine entière.
Les stratégies d’étirement sont variables de personne à personne. Certains employés rédigeront leur rapport dans les trois premiers jours, puis passeront les jours restants à naviguer sur l’Internet, à préparer leurs vacances, à acheter en ligne, à envoyer des courriels personnels, etc., tout en s’assurant que leur poste de travail donne toutes les apparences d’une activité intense (fichiers professionnels prêts à être affichés à l’écran).
D’autres employés agiront différemment en fragmentant leur travail sur la semaine entière, se ménageant de multiples pauses pour envoyer des courriels personnels, fumer une cigarette, boire un café, bavarder avec des collègues, voire se rendre aux toilettes pour un somme de dix minutes.
La stratégie du pseudo-investissement
Elle consiste à simuler l’engagement professionnel en étant présent et assis à son bureau, parfois après les horaires de travail. Ainsi, des employés démotivés peuvent prendre leur repas de midi au bureau pour donner l’impression qu’ils travaillent en continu dans la journée, alors qu’ils s’occupent de leurs courriels personnels ou lisent des magazines.
Le bore-out, qui est concerné ?
Comme l’explique Philippe Georges Dabon dans un article du JDN « Le bore-out : quand s’ennuyer nuit à la santé »
« Le bore-out se développe particulièrement lorsque le métier est mono-tâche. Aucune catégories socio-professionnelles n’est épargnée ».
Dans l’article précité, la psychologue du travail Sabine Grégoire cite comme exemple les fonctionnaires qui « sont surreprésentés dans les patients souffrant de bore-out. Beaucoup ont l’impression d’être sous employés, de n’avoir aucune prise sur la réalité, de ne pas pouvoir travailler à la mesure de leur talent. »
Ce que confirme Philippe Georges Dabon : » Plus qu’ailleurs, les promotions internes sont rares, les tâches sont cloisonnées et monotones. Dans certains services, le sureffectif est tel qu’il n’y a tout simplement pas de travail pour tous ».
Autres exemples, les agents de sécurité, « cantonnés à la porte des magasins, ils sont dans un coin, personne ne leur dit bonjour, ils se contentent de regarder ce qui se passe« .
Dans le secteur tertiaire, le bore-out est particulièrement répandu. « Dans le monde de l’entreprise, je constate une surreprésentation de salariés et d’agents de maîtrise qui occupent des tâches peu valorisantes, cloisonnées et sans perspectives d’avenir« , constate le docteur Dabon.
Faut-il attendre une action de l’entreprise ?
« Les entreprises et les administrations sont les premières fautives. C’est à elles d’agir« , clame le docteur Dabon. Pour lui, il est vital de revoir en profondeur l’attitude des employeurs, tant au niveau du recrutement que du management.
Selon lui, elles ont trop tendance à sélectionner le candidat le plus diplômé. « La course au meilleur cursus mène à une situation problématique : le recrutement de personnes surdimensionnées, qui s’ennuient à s’en rendre malade ».
« Les employeurs devraient donner plus de reconnaissance salariale et surtout sociale. Ils ne devraient pas hésiter à mettre l’accent sur la création d’un esprit de groupe. Bien sûr, il y aura toujours des tâches monotones, des personnes sous-employées. Mais elles doivent au moins avoir le sentiment d’être utiles ».
Sur le fond, Docteur Dabon a raison, mais dans la pratique il est fort peu probable que les choses bougent. Et ce pour différentes raisons.
- Les études appréhendant l’impact sur l’entreprise du phénomène restent encore sujettes à caution
- Les acteurs susceptibles d’agir (RH, dirigeant, instances du personnel) ont-ils intérêt à s’y intéresser ?
- N’ont-ils pas d’autres sujets plus prioritaires ?
- A titre personnel, ces acteurs ont-ils souffert du phénomène ?
- Sont-ils des acteurs qui ne se se sont pas accaparé les tâches intéressantes au détriment d’autres collègues
- Sont-ils enclins à l’empathie et à l’esprit d’équipe ?
- N’ont-ils pas à titre personnel trouvé un modus vivendi pour s’accommoder du phénomène ?
- Ne pensent-ils pas que c’est au collaborateur de se prendre en charge et d’envisager sa mobilité interne ou externe ?
Alors comment, à titre individuel, faire face au Bore-out ?
Faire face au bore-out en l’anticipant
Si vous êtes en phase de recherche d’emploi :
Eviter les métiers mono-tâches
Le bore-out se développerait particulièrement lorsque notre métier est mono-tâche, que l’on a le sentiment de ne pas avoir de reconnaissance, de stimulation intellectuelle ou morale.
Privilégier les métiers où vous pouvez constater les conséquences de vos actions
Selon Philippe Georges Dabon, « Certaines activités sont plus épargnées que d’autres. C’est le cas des métiers créatifs, des artisans, des cadres dirigeants ou encore des professions libérales. Dans ces métiers, on peut constater directement la conséquence de nos actes. Surtout, les tâches sont variées et ne manquent pas ».
Privilégier les métiers qui ont du sens.
Peter Werder et Philippe Rothlin, notent que le bore out apparaît moins dans les métiers dont le principe est de mener à bien une tâche spécifique (par exemple : chirurgien) ou d’aider des personnes dans le besoin (par exemple : travailleur social ou assistante maternelle).
Travailler dans une petite entreprise
D’après Sabine Grégoire, plus une entreprise est de grande taille, plus les cas de bore-out sont nombreux. « Dans une petite entreprise, chacun doit être polyvalent et mettre la main à la pâte ».
Faire face au bore-out lorsqu’on est en poste :
Oser en parler en interne
Pour Sabine Grégoire, « La première chose à faire est de parler de son mal-être sur son lieu de travail. Collègues, responsable RH, CHSCT… Les interlocuteurs ne manquent pas. Ils peuvent vous aider en vous attribuant de nouvelles tâches, en vous promouvant en interne« .
Demander de l’aide en externe.
Un coach peut vous aider à vous remobiliser.
Un Life Coach peut vous aider à construire un design de vie adapté à vos aspirations.
Un conseiller en stratégie de carrière peut vous permettre de changer de voie, d’explorer le marché caché au sein de votre entreprise.
Je rajouterais à ces conseils listés dans les articles parus:
Faire du networking et développer votre réseau interne et externe
Apprendre à explorer le marché caché de l’emploi au sein de votre entreprise
N’oubliez pas que les RH sont les dernières personnes à être informées d’une future création de poste ou d’un poste libéré par promotion ou départ… Rencontrez des managers d’autres services pour repérer une fonction plus susceptible de vous plaire et vous faire identifier comme candidat.
Apprendre à demander, voire même à s’accaparer les tâches intéressantes !
En termes de dynamique de groupe, le bore out peut en effet apparaître lorsque le personnel d’encadrement ou les employés les plus énergiques ou les plus ambitieux accapparent les travaux les plus intéressants et ne laissent que quelques tâches parmi les plus ennuyeuses aux autres.
Ne les laissez pas aux autres ! Exigez votre part !
Etre un partisan farouche du « Moi tm », concept de Tom Peters
Investir en vous et créer votre plan de renouveau personnel
C’est une des suggestions de Tom Peters, consultant et gourou du management, qui abordait déjà au début des années 2000 cet aspect de l’ennui au travail dans ses ouvrages Moi Tm, traduction de The brand You 50, et Super projet.
Votre plan d’investissement en renouveau comporte plusieurs catégories : compétences nouvelles, gens nouveaux, projets renouveaux, nouvelles distractions passionnantes. Il est à réactualiser tous les trimestres.
« Conserver son enthousiasme personnel/professionnel nécessite un plan d’investissement en entrain tout autant que la sécurité financière nécessite un plan d’investissement formalisé« , écrit-il page 167 de Moi Tm.
Il vous suggère de rajouter une chose nouvelle chaque trimestre sur votre cv.
Avoir des activités para-professionnelles
Ces compétences et choses nouvelles peuvent se réaliser dans un cadre para-professionnel.
Sabine Grégoire suggère de « de prouver que l’on est capable de faire des choses en suivant des MOOC, en s’engageant dans des associations ».
Apprendre quelque chose de nouveau
« Moi Tm est un fanatique du renouveau/ cultive sa curiosité/ ne manque jamais une occasion d’apprendre quelque chose de nouveau !« , écrit Tom Peters
Apprendre à transformer de petites tâches ingrates… en Or.
Tom Peters plaidait également dans ses ouvrages sur le fait que vous n’avez pas besoin de grand projet. Vous pouvez transformer n’importe quel petit projet « merdique » en un projet jubilatoire.
« Vous avez les coudées franches.. précisément parce que c’est une tâche merdique », expliquait-il.
Son ouvrage best-seller mondial de la littérature managériale des années 80, Le prix d’excellence, est ainsi né d’un projet auquel personne ne croyait dans le cabinet de conseil dans lequel il travaillait à l’époque et dans lequel personne n’a donc investi en dehors de lui. C’était le petit boulot délaissé !
Oser créer une seconde activité professionnelle
Envisagez une activité en parallèle en auto-entrepreneur ou portage salarial.
Oser créer une activité rémunératrice online
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Envisager d’être un slasher
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Pour en savoir plus :
Fiche Wikipédia : Syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui
Un commentaire
Pour compléter, voir un article sur Libération, intitulé » «Le bore-out devient une source de mépris de soi»
Par Emmanuèle Peyret — 28 septembre 2015
http://www.liberation.fr/politiques/2015/09/28/le-bore-out-devient-une-source-de-mepris-de-soi_1392814