Vous avez une passion ? On vous engage !

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Un article paru sur Linkedin, d’Olivier Auroy fait le buzz. Il prône la valorisation des passions ! Pour son auteur, il est temps de reconsidérer le rapport au travail et de dépasser les querelles de génération.


Texte d’Olivier Auroy
 Les lignes bougent en France, c’est incontestable. Certaines pratiques innovantes se généralisent, elles attestent d’un marché du travail en pleine évolution : les espaces de co-working, le télétravail, la pratique du slashing, les baromètres du bonheur au travail (http://octomine.com/en/), l’encouragement à l’éveil (http://artips.fr), pour ne citer qu’elles.
Et pourtant, j’ai le sentiment que :

Les méthodes de recrutement ne suivent pas le mouvement.

Il arrive que les recruteurs et les DRH se montrent inquisiteurs avec des candidats qui, selon eux, ne placeraient pas toute leur énergie dans l’entreprise. Des candidats qu’ils cataloguent au mieux dans les profils originaux, au pire dans la catégorie des tire-au-flanc potentiels. Chez les anglo-saxons, le débat n’a pas lieu. La multitude des intérêts suscite plus la curiosité que la suspicion.

Alors, y aurait-il un complexe français ?

Ils (elles inclusif) aiment leurs boulots et pourtant, ils sculptent, ils peignent, ils aiment le sport, ils jouent les œnologues, ils écrivent, ils naviguent, ils font de la musique, ils cuisinent, ils chantent, ils jardinent, ils se consacrent à des causes bénévoles, ils s’évadent… À quoi jouent-ils donc ?

Quand j’ai rencontré Rémi, j’ai tout de suite compris que c’était un type spécial, voire étrange.

Un physique androgyne, une passion inavouable pour les insectes et un discernement précoce.

Il m’avait dit :

« Tu sais, moi j’ai compris à l’âge de 22 ans que le travail en entreprise, et bah, c’est une gigantesque arnaque. Tu galères derrière des gens moins compétents que toi mais beaucoup plus politiques. Le coup du lévrier qui court derrière une peau de lapin sur un circuit, ce n’est pas mon truc. Moi je vais économiser à max, mec, comme un petit fonctionnaire de banlieue qui rêve de finir ses jours sur la côte d’Azur. Moi, mon plan c’est de trimer quinze ans, pas plus. Je vais me sacrifier, mais quand j’arriverai au bout, je ferai enfin ce que je veux ».

J’ai revu Rémi, il y a un mois. Il n’a pas quarante ans. Il a fait ce qu’il avait planifié.

Il a épargné de l’argent, investi dans des biens immobiliers. Pour y parvenir, il a beaucoup sacrifié : pas d’excès, pas de famille, peu de vacances. Aujourd’hui, Rémi est installé au Vietnam. Ses appartements lui rapportent assez pour vivre dignement, acheter une maison, fonder une famille. Mais surtout, il peut enfin se consacrer à sa passion : la peinture.

Pas n’importe quelle peinture : les portraits d’handicapés mentaux. Il a mis un an à trouver un établissement spécialisé qui le laisse représenter, magnifier, immortaliser ces pauvres âmes égarées dans les méandres de leur solitude forcée. Pourquoi des handicapés mentaux ? Lui ai-je demandé.

« Parce que l’archétype conventionnel du beau a fini par me révulser, me répond-il. Ma conception de la perfection est un négatif du beau. Elle est pleine de fragilités, de défauts, d’innocence, de vulnérabilité… »

Rémi n’a pas abandonné toute activité pour autant.

Rémi s’épanouit désormais dans cette complémentarité entre sa passion (la peinture) et ses activités de freelance.

Rémi est un visionnaire même s’il s’en défend. Il a compris que le travail suffit rarement à combler l’individu, que l’entreprise d’une seule vie est d’un autre âge, que mettre ses rêves entre parenthèses conduit à l’abandon de soi. On peut se créer d’autres vies au hasard des chemins que l’on suit.

Rémi est aussi un exemple radical. La recherche de la liberté et de l’indépendance financière peut prendre des formes moins extrêmes.

Vous avez remarqué ce qui passe dans le regard d’un recruteur quand vous lui avouez que vous avez une passion, un « hobby » plutôt sérieux auquel vous consacrez un peu de vos week-ends et de vos soirées ?

Une expression de doutes et de reproches se lit dans son regard. Votre enthousiasme devient inacceptable : donnerez-vous suffisamment de vous-même à la sacro-sainte entreprise ?

N’aurez-vous pas tendance à lui préférer cette passion dont vous lui parlez si bien ? Est-ce bien compatible ?

Il faut dire qu’en France on est les champions de la mise en boite. Il ne faut pas que ça dépasse du CV.

Toutes qualifications, toutes compétences, toutes valeurs ajoutées qui ne rentrent pas dans le schéma référentiel du recruteur nuiront à son propriétaire.

Adieu les profils atypiques, les parcours non académiques, les expatriations, les stages artistiques, les années sabbatiques, les micro-entreprises, les statuts de freelances, les projets personnels, les bifurcations de carrière en tous genres… rien ne doit faire tache.

Les entreprises ont peur de l’intelligence artificielle alors qu’elles s’évertuent depuis des années à recruter des gens qui par leur formation ou leur façon de penser sont les égaux des clones et des robots. Un paradoxe !

C’est très bien les passions ! Ça brise la routine, ça donne de l’élan, ça inspire.

Arrêtons de nous mentir : aucune entreprise n’a la capacité de satisfaire l’individu à la hauteur de ses espérances les plus grandes ou les plus folles.

Et c’est tant mieux ! Elle n’est pas là pour ça, elle n’est qu’un paramètre de l’équation bonheur.

Certes à 8h par jour, cinq jours par semaine, sa responsabilité n’est pas mince : être mal au travail n’arrange rien, on est bien d’accord. Doit-on pour autant faire du travail le centre exclusif de son existence ?

Il y a encore des gens qui attendent que leur chef quitte le bureau pour partir, qui ont peur de poser leurs congés ou qui restent jusqu’à plus d’heure pour impressionner leurs collègues… peut-être parce qu’ils ont peu de vie… après le travail. Des exemples parmi tant d’autres, la liste de ces travers est longue. Elle paraît d’un autre temps. Elle sévit encore.

Quand j’avais la responsabilité d’un bureau de design, au Moyen-Orient, j’en avais fait un principe de ma stratégie de recrutement : je préférais engager des graphistes qui s’investissaient dans une passion plutôt que des graphistes qui me promettaient un amour illimité de l’entreprise. Pourquoi ?

Parce qu’avoir une passion personnelle est le meilleur remède à l’érosion de la motivation professionnelle, à la remise en question de l’ego, au manque de liberté individuelle.

Le designer qui se réalisait dans un projet ne souffrait jamais du refus du client, de la contestation de sa hiérarchie, de l’esprit de compétition de ses pairs ou de l’abandon du projet. Parce qu’il avait « autre chose », parce que sa réussite professionnelle n’était pas le centre de ses aspirations. Il n’en était pas moins motivé. Il était juste plus serein que les autres.

Ce qui est valable pour un designer est valable pour toute autre corps de métier. Accepter et encourager la passion d’un employé, c’est lui donner de l’air, c’est lui prouver sa confiance. Il ne s’agit pas nécessairement d’une activité secondaire mais simplement d’un équilibre consenti entre son métier et une activité qui permet à l’individu de s’accomplir sans craindre le jugement ou la sanction.

Un espace de liberté qui lui permettra de respirer et d’être encore plus performant… au travail. Le cercle vertueux des actifs en quelque sorte.

Il est temps de reconsidérer le rapport au travail et de dépasser les querelles de génération.

La passion est révélatrice d’une énergie, d’une volonté, d’un enthousiasme. Elle n’est pas forcément synonyme de dispersion ou de désintéressement.

Elle met en évidence un équilibre de vie, un talent qu’une entreprise devrait priser. Le recruteur traditionnel a tendance à regarder en priorité la nature du diplôme, la notoriété des entreprises, le nombre d’années passé à chaque poste. Il devrait étudier avec plus d’attention la nature des expériences professionnelles et extra-professionnelles, d’autant que les profils qu’il a sélectionnés ont été façonnés dans le même moule.

Auteur : Olivier Auroy  est un professionnel de la communication, Directeur Général de Kantar Consulting (WPP) et écrivain français. Il a également publié sous le nom de plume Gabriel Malika.
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